Culture du bâti

Éduquer et créer

Vestige de la 5e Exposition nationale suisse, l’Expo 64, le théâtre de Vidy a été transformé et agrandi par les architectes lausannois du bureau Pont12, dirigés par François Jolliet et Guy Nicollier. Fragment du pavillon d’exposition conçu par Max Bill pour le demi-secteur 2b, «Éduquer et créer», le bâtiment abrite aujourd’hui un grand théâtre de création au rayonne­ment international.

Suivant les prescriptions de l’architecte en chef de l’exposition, Alberto Camenzind, le système constructif développé par Max Bill permettait un montage et un démontage rapides, comme il se doit pour un pavillon éphémère destiné à ne durer que six mois.

La construction légère était constituée d’éléments préfabriqués standardisés assemblés selon une trame modulaire de
5 mètres de côté et 3,5 mètres de hauteur. La structure spatiale tridimensionnelle d’acier zingué était composée de tubes verticaux de 160 mm de diamètre dont l’extrémité supérieure comportait une tête d’appui quadrangulaire recevant les poutres de la structure horizontale. Ces poutres portaient les bacs nervurés autoportants en fibrociment de la toiture. Chaque élément de cette structure porteuse assurait également l’évacuation des eaux de pluie. Les revêtements extérieurs étaient constitués d’éléments de 1,2 × 3,2 mètres, des panneaux en bois compressé revêtu de plastique blanc ou d’acier chromé et des plaques de polyester translucide et de verre.

Ce système rigoureux n’en était pas moins flexible puisqu’il permettait des doubles hauteurs de 7 mètres et des portées jusqu’à 20 mètres, grâce à des poutres à treillis de 1,5 mètre de hauteur. Les vues aériennes montrent un organisme complexe de 18 600 m2, composé de parallélépipèdes juxtaposés et d’une place carrée de 30 mètres de côté entourée d’un péristyle, la Cour des arts. Max Bill décrivait son œuvre comme une petite ville autonome, parce que l’on y trouvait presque tout : un théâtre, un cinéma, une librairie, un café, un bar. En 1965, le pavillon fut revendu par lots. Seul le théâtre échappa à ce sort.

De l’éphémère qui dure

Le 25 mai 1965, la Ville de Lausanne racheta ce fragment de pavillon – 2300 m2 soit 12,5% de l’ensemble. En coulisse, Charles Apothéloz alors directeur artistique du département dramatique du Théâtre municipal de Lausanne et depuis 1959, commissaire théâtral de l’Expo 64, avait déployé tout son pouvoir de persuasion pour que la salle de 380 places survive à la manifestation et génère une amélioration des infrastructures lausannoises. Il sut convaincre le syndic, Georges-André Chevallaz, des retombées positives de cette acquisition.

La structure du théâtre est d’ailleurs différente de celle du reste du pavillon. Les photos en couleur du chantier montrent, à côté de la structure tubulaire en acier zingué, une structure en acier rouge, enduite de peinture au minium, formée de poutres du marché. Max Bill imputait cette différence structurelle à des raisons de sécurité, mais celle-ci permit également au bâtiment de durer. Utilisé d’abord comme lieu de répétition, le théâtre accueillit en 1972 le Centre dramatique de Lausanne et connut dès lors une exploitation permanente pour laquelle il n’avait pas été conçu. La construction a été transformée à plusieurs reprises afin d’assurer la sécurité et un confort minimum aux usagers. Au début de la dernière campagne de travaux, il ne restait de la substance d’origine que la structure porteuse et certains panneaux de fibrociment de la toiture. Le théâtre a cependant conservé une forte identité visuelle et une cohérence architecturale découlant directement des choix constructifs et esthétiques de Max Bill. Cette appréciation de la valeur matérielle et culturelle de l’œuvre ne doit pas pour autant faire oublier sa valeur d’usage. Placé depuis des décennies sous la direction de metteurs en scène prestigieux – Matthias Langhoff, René Gonzalez et depuis 2014 Vincent Baudriller –, le Théâtre de Vidy s’est imposé comme une institution phare des arts de la scène, au plan local et international. La mission des architectes a donc été de mettre le théâtre en conformité (énergie, sécurité, installations techniques et scénographiques) et surtout d’améliorer les performances de l’outil de travail ainsi que le confort des artistes, techniciens et spectateurs. L’enchaînement des espaces et la distribution ont été clarifiés. Les loges sont passées du sous-sol au premier étage – avec vue sur le lac. La grande salle a été entièrement reconstruite: rehaussée et prolongée d’une trame, elle compte désormais 430 places offrant chacune de bonnes conditions de vue. Une nouvelle salle de répétition de 15 × 15 mètres, les dimensions du plateau de scène de la grande salle, a été ajoutée au sud-est. Construite de plain-pied, elle s’inscrit dans la trame modulaire de Max Bill et permet de mieux définir ce qu’il reste de la Cour des arts.

«Éduquer et créer». Le nom du pavillon correspond bien au politicien de la culture qu’était  Max Bill. Dans son ouvrage FORM, il écrivait en 1952 que l’éducation est le seul moyen pour ouvrir une brèche dans la propagande libérale: «Par éducation, j’entends, au sens originel du terme, formation de l’homme selon sa nature profonde et non son dressage.» Il serait sans doute heureux de lire aujourd’hui les mots par lesquels le directeur du théâtre, Vincent Baudriller, salue le travail effectué par les architectes de Pont12: «Avec cet outil de travail rénové et modernisé et une équipe riche de multiples savoir-faire, nous allons poursuivre notre travail pour que le Théâtre de Vidy soit à la fois un espace de création, de liberté et de résistance, où les artistes d’ici et d’ailleurs puissent inventer des formes esthétiques vivantes qui réfléchissent et interrogent notre époque.»

Auteur

Christian Bischoff, architecte

Clou rouge

Clou rouge «Entre l'eau et nous»
Samedi 31 août 2024: vernissage du Clou rouge au Théâtre de Vidy, Lausanne à 11h30 et visites du Théâtre de Vidy (10h) et de Lausanne
Jardins (13h30, 16h).
Organisé par la section vaudoise de Patrimoine suisse en partenariat avec Lausanne Jardins et le Théâtre de Vidy.
Inscription jusqu’au 28 août.