Texte: Marco Guetg, journaliste
Photos: Marion Nitsch, photographe
La fondation Vacances au cœur du Patrimoine fête son 20e anniversaire et peut se targuer d’un beau succès. Mais quelle est sa philosophie? Quels objectifs poursuit-elle? La réussite recèle-t-elle aussi des pièges? Et quelle direction la fondation va-t-elle emprunter? La directrice Christine Matthey et le président Beat Schwabe nous invitent à découvrir cette institution unique en son genre.
Beat Schwabe: Parce que cet objet est emblématique du travail de la fondation. C’est une ferme typique de la région, qui n’était plus occupée par ses propriétaires. Elle menaçait de tomber en ruine et nous l’avons restaurée pour en faire un logement de vacances.
Christine Matthey: Vous vous souvenez de la polémique qui a agité le canton de Schwyz à propos des maisons en bois médiévales, en faveur desquelles Patrimoine suisse s’est engagé? À Morschach, nous avons pu sauver l’une d’entre elles, la Haus Tannen. Elle a donc une valeur symbolique forte. Elle illustre aussi la bonne collaboration entre Patrimoine suisse et la fondation.
BS: Nous préservons des bâtiments historiques qui sont en mauvais état ou qui ne sont plus utilisés – étant entendu qu’un édifice des années 1970 également peut être important du point de vue historique. L’objectif est de garantir une utilisation durable comme appartement ou maison de vacances, en préservant autant que possible la substance bâtie.
CM: Les édifices historiques sont des éléments importants pour la préservation des sites ou des paysages culturels. Ils racontent l’histoire et s’inscrivent dans un lieu en donnant aux régions leur caractère incomparable. Nous estimons qu’il est nécessaire de conserver ces témoins de la culture du bâti suisse et de permettre de découvrir leur histoire.
BS: Nos hôtes font leurs achats dans les petits commerces des villages ou auprès des familles paysannes. Ils apportent ainsi une plus-value. Nous collaborons fréquemment avec des groupes, des acteurs ou des fondations du lieu afin de faire revivre une localité. Cela nous a amené à agir en partenariat avec l’Aide suisse à la montagne. Les artisans que nous employons et les personnes chargées de l’accueil sur place sont dans la mesure du possible de la région. Parfois, ce sont même les descendants des anciens occupants qui accueillent les hôtes et qui racontent l’histoire de la maison et de leur famille – difficile d’imaginer une présentation plus authentique.
CM: 60, dont 12 qui sont en mains de la fondation. Parmi ceux-ci, six objets sont en propriété, et les autres en droit de superficie. Il s’agit souvent de bâtiments qui sont chers à leurs propriétaires. Ceux-ci ne souhaitent donc pas les vendre, mais ils n’ont pas les moyens de les rénover. Grâce à la fondation, ils peuvent donner un avenir à leur maison sans y renoncer totalement. Les 48 autres objets appartiennent à des particuliers ou à des institutions qui poursuivent le même objectif que la fondation et qui les louent via notre plateforme.
CM: Au départ, cette question s’est posée. Mais nous avons compris que pour valoriser une maison, nous devions le faire là où des gens avaient vécu. Nous nous concentrons donc sur les habitations.
BS: Des architectes se manifestent, un service des monuments historiques attire notre attention sur un objet ou nous apprenons par une section de Patrimoine suisse qu’un bâtiment est menacé …
CM:… des propriétaires nous contactent aussi parce qu’ils ne savent pas que faire d’une maison qu’ils ont souvent héritée et qu’ils veulent préserver. Si l’objet répond à nos critères et que nous pouvons le prendre en charge, cela peut déboucher sur un don, un usufruit ou un droit de superficie, ou encore sur une collaboration pour la location. Dans ce dernier cas, nous n’assumons aucun coût pour la rénovation parce que nous ne savons pas durant combien de temps le bâtiment nous sera confié. Cependant, nous conseillons et accompagnons le propriétaire durant l’assainissement.
BS: L’architecte du secrétariat général analyse l’objet au regard de nos critères. S’il est retenu, elle le soumet à la commission architecturale, qui émet un avis à destination du conseil de fondation. C’est ce dernier qui prend la décision finale.
CM: Pour les objets que nous rénovons nous-mêmes, nous collaborons d’abord avec d’autres architectes afin de trouver la meilleure solution. Nous privilégions toujours des professionnels locaux. Ensuite, le projet est soumis à la commission architecturale, puis présenté au conseil de fondation pour approbation.
BS: Cela dépend du contexte. Pour la Kaplanei d’Ernen (VS) par exemple, nous avons invité des architectes à participer à un concours. Pour d’autres objets, nous avons attribué des mandats d’études et, plus rarement, accordé des mandats directs.
BS: À l’origine, la fondation avait pour principe de rénover ses propres bâtiments et de les conserver à long terme comme logements de vacances. Mais très vite, des maisons appartenant à des tiers sont venues s’y ajouter. Nous avons pris conscience que la collecte de fonds et la restauration demandaient un temps considérable. Nous avons aussi dû admettre qu’avec seulement trois objets au départ, il était tout simplement impossible d’exister sur le marché de la location.
CM: Cette ouverture nous a permis de gagner en notoriété et d’élargir notre offre. Nous pouvons ainsi proposer à nos hôtes une sélection plus variée et les sensibiliser à la diversité architecturale.
BS: La fondation a été créée en 2005 avec un capital initial de 100 000 francs, offert par Patrimoine suisse à l’occasion de son 100eanniversaire. Aujourd’hui, le financement de nos projets repose sur le soutien de fondations poursuivant des objectifs similaires, de mécènes, de partenaires comme l’Aide suisse à la montagne, ainsi que sur de nombreux donateurs, même plus modestes.
CM:… Parmi eux figurent souvent nos hôtes. En général, ils entretiennent un lien particulier à nos maisons et souhaitent apporter un soutien supplémentaire à notre travail. Nous en sommes profondément reconnaissants.
BS: L’entretien des maisons anciennes représente un coût important. Les revenus issus des locations permettent de couvrir l’entretien courant. Lorsque le taux d’occupation est élevé et que les dons sont généreux, nous pouvons renforcer le fonds de rénovation. En revanche, pour les travaux d’envergure, comme la réfection d’une toiture, nous devons nous appuyer sur le fundraising. Par ailleurs, nous veillons en permanence à notre trésorerie pour garantir l’entretien des maisons.
CM: Je ne peux pas vous donner de chiffre précis, car la valeur d’un bien dépend de son état, de son emplacement et des matériaux qui le composent. Comment fixer un prix pour une construction en bois vieille de 400 ans? Nos maisons ont avant tout une valeur patrimoniale. Nous les restaurons selon les meilleures pratiques, en recherchant les solutions les plus adaptées tout en respectant leur authenticité historique. Nous soutenons les savoir-faire locaux et intégrons des techniques anciennes menacées de disparition. Il est vrai que cette approche a un coût.
CM: Ces dernières années ont été très positives.Pendant la pandémie, l’intérêt pour nos monuments a fortement augmenté. De plus, les prévisions touristiques confirment la pertinence de notre modèle. Les gens recherchent des séjours porteurs de sens, privilégient les destinations locales et expriment un besoin accru de culture, de nature et d’authenticité. En résumé, nous voyons un réel potentiel de croissance, mais celle-ci doit être maîtrisée.
CM: Nous ne tenons pas de statistiques à ce sujet. Mais nous savons que beaucoup d’hôtes sont membres ou qu’ils partagent les valeurs de la protection du patrimoine. La palette est très large. Il s’agit avant tout de familles et de couples urbains, intéressés par la culture.
BS: Durant la pandémie, l’éventail des hôtes s’est diversifié. Des gens qui, auparavant, ne partageaient guère les idéaux de la fondation ont découvert notre offre – et ils sont restés fidèles.
CM: L’augmentation est liée également aux médias qui, durant la pandémie, cherchaient de bonnes histoires et des offres de vacances alternatives dans notre pays. Nos objets répondaient à ces attentes.
BS: Notre objectif est d’offrir à chacun la possibilité de vivre des vacances au cœur du patrimoine. Notre mission est de préserver et transmettre la culture du bâti en la rendant accessible au plus grand nombre. Toutes nos maisons sont aménagées confortablement et, bien que certaines aient plusieurs siècles d’histoire, y séjourner ne signifie pas vivre comme autrefois.
CM: Lors de chaque restauration, nous évaluons ce qui est réalisable. Là où un aménagement moderne peut être intégré sans porter atteinte à la substance bâtie, nous le réalisons. En revanche, si l’intervention risque d’être trop intrusive, nous privilégions d’autres solutions. C’est ainsi que nous proposons aussi des maisons chauffées exclusivement au bois. Toutefois, chaque logement dispose systématiquement d’une cuisine et de sanitaires modernes.
CM: Nous ne voulons en aucun l’être, mais l’équilibre est délicat! Nous devons générer suffisamment de revenus pour garantir la qualité de nos maisons, sans quoi nous ne serions pas à la hauteur de nos propres exigences. Nos bâtiments doivent aussi être traités avec respect. Nous évoluons donc dans un segment spécifique. Cela dit, nos prix restent accessibles: par personne et par nuit, ils sont comparables à ceux d’une auberge de jeunesse.
CM: Tout dépend de ce que vous entendez par «beauté». Chaque objet a son propre caractère. On trouve aussi des logements rustiques, avec des plafonds noircis par la suie. En revanche, ce que je peux affirmer, c’est que nous préservons l’histoire et mettons ainsi en valeur les espaces. Nous conservons ce qui est ancien et authentique, tout en intégrant les éléments modernes de manière assumée et visible. Si par exemple, il manque une cuisine ou une salle de bains, nous l’ajoutons avec des matériaux contemporains, en veillant à ce que l’intervention soit lisible et réversible.
CM: Ce thème a pris de l’ampleur ces dernières années, même si notre travail – la préservation de la substance bâtie – est, par essence, profondément durable. Par rapport à nos débuts, nous réfléchissons aujourd’hui davantage aux éléments que nous intégrons: diminuent-ils la valeur de la maison? Peuvent-ils s’inscrire dans son histoire? L’attractivité pour la location joue également un rôle. Comme nos propres objets sont généralement vides au moment de leur acquisition, nous disposons d’une certaine marge de manœuvre pour intégrer des principes de durabilité dès la planification. En revanche, ces discussions ont surtout lieu pour les bâtiments appartenant à des tiers, dont la restauration remonte parfois à plusieurs décennies.
CM: Ce n’est pas seulement une question d’esthétique. Avec 20 ans d’expérience dans la restauration de maisons historiques, nous connaissons aussi les attentes de nos hôtes. Pour garantir une large accessibilité à notre offre, nous devons intégrer certains éléments essentiels devenus incontournables aujourd’hui, comme une cuisinière électrique plutôt qu’un fourneau à bois, ou des toilettes modernes à la place de latrines.
CM: La qualité ne se limite pas à l’architecture. Bien sûr, cette dernière reste notre priorité. Mais un ameublement sobre et de grande qualité permet de la mettre encore davantage en valeur. Nous traduisons cette approche en intégrant des pièces de créateurs, que nous associons, lorsque c’est possible, à du mobilier ancien retrouvé sur place et restauré. Nous offrons ainsi un petit voyage à travers l’histoire du design.
BS: Nous sommes une organisation indépendante, mais liée, comme par le passé, à Patrimoine suisse qui l’a fondée il y a 20 ans. Nous avons conclu avec cette association un contrat de prestations comprenant un soutien financier. Nous travaillons ensemble à la promotion de nos valeurs communes.
CM: Nous concrétisons les engagements de Patrimoine suisse. Par notre activité à l’échelle nationale et nos échanges avec des acteurs régionaux, nous portons ces valeurs jusque dans les régions les plus reculées du pays.
CM: Les portes s’ouvrent lorsque les habitants découvrent nos réalisations et imaginent que leur propre maison pourrait aussi leur ressembler. Dans ce sens, nous sommes souvent accueillis plus chaleureusement que les services des monuments historiques ou que Patrimoine suisse. Le changement de regard induit par la collaboration avec notre fondation bénéficie, finalement, à tout le monde.
CM: Nous sommes effectivement une petite fondation, avec seulement 3,5 équivalents plein-temps pour gérer 60 objets, organiser les séjours, récolter l’argent, accompagner les travaux, pour la communication … De fait, le personnel nous est compté, mais nous pouvons aussi nous appuyer sur les personnes qui, sur place, s’occupent des objets.
BS: La fondation ne pourrait tout simplement pas fonctionner sans la passion et l’engagement des collaboratrices et de ces personnes. Nous proposons une belle offre et pouvons compter sur un public fidèle. Nous voulons poursuivre sur cette voie, mais nous ne devons pas croître trop vite, sinon nous dépasserons les limites de notre personnel.
BS: En Suisse romande et au nord-ouest du pays. Mais il ne s’agit pas seulement de la dimension géographique. Nous souhaitons élargir notre offre à des styles variés de différentes époques. Il y a aussi du potentiel dans ce cadre.
CM: Nous aimerions pouvoir sauver encore plus de maisons et les rendre accessibles. C’est un défi permanent, car la sauvegarde du patrimoine est une affaire de cœur. Si cela était rentable, nous ne serions pas une fondation, mais une start-up.
BS: En règle générale, nous cherchons une solution convenable pour chaque objet. Mais tous les lieux ne se prêtent pas à des vacances, par exemple lorsqu’un bâtiment historique, aussi beau soit-il, se situe entre une route principale et une ligne de chemin de fer. Chaque demande est examinée individuellement et, grâce à notre réseau, il est souvent possible de trouver une affectation judicieuse. Cela peut passer par la plateforme marchepatrimoine.ch sur laquelle nous proposons des bâtiments historiques à la vente, en collaboration avec Patrimoine suisse.