En guise de bienvenue, les hôtes de la Maison Heidi découvrent sur la table un pot de miel, une tresse et une bouteille de Souboziane. Cette demeure, appartenant aujourd’hui à la fondation Vacances au cœur du Patrimoine, porte le nom de sa dernière propriétaire. Elle se situe à l’entrée de Souboz, l’un des sept hameaux de la commune de Petit-Val dans le Jura bernois. Le pittoresque village-rue est inscrit à l’Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS). Avec ses sept fontaines en pierre, la localité est nichée parmi les collines et les prairies, près d’une forêt mixte, riche de par sa flore et sa faune. Les vacanciers qui séjournent dans la Maison Heidi ne perturbent en rien ce paysage de carte postale, ils y sont au contraire bien accueillis. «Les touristes enrichissent le village. Ils n’arrivent pas avec des sacs remplis de produits Migros mais veulent acheter local», explique Willy Pasche, le maire de Petit-Val. «Nous espérons ne pas les décevoir, car l’endroit est plutôt tranquille», ajoute-t-il, presque en s’excusant. C’est aussi pour cela qu’Irène Liechti, responsable du tourisme et habitante de Souboz, a décidé d’ouvrir «Le Choc» avec cinq autres femmes du village. Ce petit magasin, aménagé dans un ancien grenier classé monument historique, se situe le long de la rue. Désormais, toute la population s’y retrouve pour acheter des croissants ou des boissons de la distillerie voisine, installée dans une ancienne ferme familiale où trois frères fabriquent du gin, de la vodka et de la Souboziane, un apéritif à base de racine de gentiane.
L’ouverture de «Le Choc» a apporté un essor durable pour la communauté, explique Irène Liechti. Pour Willy Pasche, la manière dont la transformation de la Maison Heidi a été menée est également exemplaire, car elle a montré aux habitants et aux propriétaires qu’une inscription à l’ISOS n’implique pas nécessairement des restrictions. Ainsi, la rénovation de l’édifice a permis de tisser un réseau régional, et d’apprendre les uns des autres.
Aujourd’hui, 60 objets figurent au catalogue de Vacances au cœur du Patrimoine, dont 12 relèvent de la fondation. Les autres appartiennent à des institutions ou à des particuliers qui profitent de l’opportunité de les louer via la fondation, contribuant ainsi à leur préservation. Cette croissance, bien que régulière, est encadrée par des exigeances spécifiques. En effet, tous les bâtiments historiques ne se prêtent pas à un usage de maison de vacances. La substance originale doit être suffisamment préservée, et seuls des édifices ayant déjà été habités entrent en ligne de compte. «C’est la maison qui définit le programme d’aménagement des espaces», explique Claudia Thommen, l’architecte de la fondation. Cette sensibilité à l’égard des vieilles pierres se reflète dans chaque lieu.
La fondation Vacances au cœur du Patrimoine se situe à la croisée du tourisme et de la préservation du patrimoine. Elle redonne fréquemment vie à des villages situés dans des régions périphériques, qui sont souvent confrontés à l’exode de leur population. Valendas, dans la Surselva, est un exemple emblématique; on peut dire que la renaissance du village a commencé en 2004. Pourtant, par le passé, la commune avait connu un essor prometteur grâce au trafic de transit, qui fut cependant suivi d’une phase de déclin: les divers commerces qui s’étaient installés sur la grande place, autour de la fontaine en bois, ont périclité avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Reichenau-Ilanz en 1903. Tandis que le tourisme se développait à Flims et à Laax, rares étaient les voyageurs qui s’aventuraient à Valendas. Si le village a ainsi pu préserver son patrimoine, il a également été marqué par une stagnation économique, l’exode de sa population et des bâtiments inoccupés.
En collaboration avec la section grisonne de Patrimoine suisse et le service cantonal des monuments historiques, l’association Valendas Impuls a initié une étude de faisabilité sur le potentiel de développement de trois bâtiments historiques vides sur la place du village. Parmi ses premiers projets, Vacances au cœur du Patrimoine a repris la Türalihus, une demeure baroque restée inoccupée pendant 60 ans. Avec sa tour d’escaliers, qui lui a donné son nom, elle est longtemps restée à l’abandon, considérée comme un fardeau par les habitants. «Le fait que la Türalihus ait été la première à se couvrir d’échafaudages a agi comme un signal!», se rappelle Ludmilla Seiffert, directrice de la section. Le renouveau de ce village en léthargie s’est matérialisé avec la rénovation douce menée par le bureau Capaul & Blumenthal, et l’aménagement de deux appartements de vacances. Depuis, la success story de Valendas a fait l’objet de nombreux reportages à la télévision nationale, dans des revues d’architecture ou dans la presse locale. Le Gasthaus am Brunnen, avec son intérieur réalisé par Gion A. Caminada et sa cuisine raffinée, a suivi. Par la suite, Valenda Impuls a recouru au même architecte pour construire la Burggarta, à la périphérie du village, qui propose des logements aux familles, aux habitants de retour au village et à tous ceux qui viennent s’établir pour faire vivre durablement la communauté. Le «slow tourism», stimulé par les possibilités de loger dans des édifices historiques, a entraîné une importante plus-value dans le village: des habitants gèrent ces hébergements, en tirent un revenu complémentaire, et restent sur place.
La substance bâtie de la Türalihus, qui a pourtant souffert, n’a pas été reconstruite ou embellie. Les réparations sont visibles, les rapiéçages et les fragments racontent l’histoire de la maison. Selon Ludmila Seifert, les habitants de Valendas ont un rapport ambivalent à cet édifice. D’une part, ils sont fiers de ce succès, mais de l’autre, ils perçoivent ces imperfections comme des vestiges de la misère passée et n’associent pas nécessairement sa patine à un charme particulier.
Ce parti pris architectonique serait-il contreproductif pour l’intégration des maisons de vacances dans les villages? Serait-il peut-être même élitiste? Correspond-il aux attentes d’une clientèle urbaine et cultivée? À Souboz, Willy Pasche et Irène Liechti racontent que la transformation de la Maison Heidi a été riche en enseignements pour eux, voire une véritable découverte. Le mari d’Irène Liechti, qui a réalisé les travaux de menuiserie, n’a pas seulement bénéficié d’un revenu supplémentaire, mais a également beaucoup appris de l’architecte Nathalie Kury, originaire de Delémont.
Claudia Thommen évoque une maison récemment ouverte au Tessin pour illustrer les principes de durabilité qui sous-tendent ces décisions architectoniques. Au centre de Moghegno, dans le val Maggia, Vacances au cœur du Patrimoine propose deux objets, la Casa Portico et la Ca’ di Bifúi. Alors que cette dernière était mise en vente, la fondation a pu trouver un mécène pour financer son acquisition et sa rénovation. Dans les prochaines années, la maison sera transférée à la fondation.
«Les interventions architectoniques entreprises par Vacances au cœur du Patrimoine sont beaucoup moins importantes que pour une maison destinée à être habitée en permanence. Que ce soit pour l’isolation, le chauffage, le confort intérieur, le nombre de sanitaires ou les fenêtres et leur taille», explique l’architecte. Les modifications structurelles sont également minimisées, ce qui a un impact positif non seulement sur le budget, mais aussi sur la structure porteuse et les émissions de CO2 générées par le chantier. «Il s’agit de rendre utilisable et de mettre en valeur quelque chose qui ne convenait plus pour une location à long terme», ajoute Claudia Thommen. «Les maisons historiques sont souvent sombres, étriquées, certaines pièces ne sont pas chauffées. Ces particularités, qui seraient perçues comme des défauts au quotidien, font le charme d’un appartement de vacances.»
Lors de la transformation en maisons de vacances, la conservation des matériaux traditionnels qui constituent les bâtiments historiques participe aussi du souci de durabilité. «Nous prolongeons largement la durée de vie ordinaire de ces éléments et limitons ainsi les émissions de CO2», souligne Claudia Thommen. En recourant aux matériaux disponibles sur place, les ressources sont ménagées car le transport est plus court. Cela s’applique aussi pour la collaboration avec les artisans locaux, qui se déplacent moins, et qui disposent du savoir-faire en matière de construction traditionnelle régionale. Cette stratégie atteint parfois ses limites, lorsqu’il s’agit par exemple de restaurer des fenêtres anciennes, un travail très spécialisé qui ne peut pas toujours être réalisé par le menuisier du village. Mais «moins nous éliminons, moins nous devons remplacer», souligne Claudia Thommen. «Nous restaurons des poêles et des fenêtres, des balustrades et des toits, en fait tous les éléments encore utilisables. Même les meubles que nous trouvons dans la maison sont remis en état.»
La fondation s’attache ainsi au patrimoine bâti, à l’environnement et aux personnes impliquées dans ces maisons de vacances. Elle représente un cas particulier dans le domaine immobilier, mais sa démarche est exemplaire et donne du sang neuf non seulement aux édifices, mais aussi à des régions entières. Cela pourrait même contribuer à une meilleure desserte en transports publics dans le Jura bernois: «Si nous voulons rester attractifs, nous devons changer les choses, pas seulement pour le tourisme mais aussi pour le village», explique Willy Pasche. Cela vaut pour les bus qui parcourent les 11 km séparant Souboz de la gare de Moutier. Jusqu’à présent, l’horaire est conçu pour les écoliers et non pour les touristes, si bien qu’aucune liaison n’est assurée le samedi, jour d’arrivée des hôtes. Une situation que le maire espère faire évoluer.
Jenny Keller, Patrimoine suisse
Cet article est tiré de la revue Heimatschutz/Patrimoine 1/2025 «Préserver et faire vivre» (date de parution: 24 février 2025).
Fondée en 2005 à l’occasion du centenaire de l’association, Vacances au cœur du Patrimoine est passé d’une idée audacieuse à un projet prometteur, jusqu’à devenir une institution florissante. Sa mission: préserver des édifices uniques en Suisse et transmettre les valeurs culturelles liées au bâti. À l’occasion de son 20e anniversaire, la fondation Vacances au cœur du Patrimoine a prévu diverses surprises.