Revue

Changement de perspective

Avec «Les plus beaux points de vue», Patrimoine suisse enrichit sa fameuse collection et invite à se promener hors des sentiers battus par le tourisme. Un volume destiné tout spécialement à ceux qui partagent la passion des paysages et de la culture du bâti, et qui veulent découvrir la Suisse vue d’en haut.

Seul le changement de perspective offre de nouveaux points de vue. C’est avec son ascension du Mont Ventoux en 1336 que l’on peut affirmer rétrospectivement que l’humaniste italien Francesco Pétrarque a posé les bases littéraires de la Renaissance. Une image impressionnante et marquante: une personne escalade sans nécessité une montagne, admire la vue et fait l’expérience d’une révélation. La révélation que le monde et la nature méritent d’être admirés, étudiés et – à la lumière de notre époque et des activités de Patrimoine suisse – protégés. Cette ascension a ouvert la voie à une réflexion profonde sur la condition humaine, une remise en question qui résonne encore aujourd’hui.

Changement de perspective et diversité

La nouvelle publication Les plus beaux points de vue, qui s’inscrit dans une collection de Patrimoine suisse dont le succès ne se dément pas depuis plus de 20 ans, invite elle aussi à un changement de perspective. Pour sélectionner les 50 points de vue à travers toutes les régions du pays, des critères tels que la culture du bâti de qualité, l’accès public, ainsi que la représentativité des différentes époques ont été privilégiés. Cette collection ne vise pas l’exhaustivité, mais plutôt à célébrer la diversité. Destiné à un large public, ce guide de voyage d’un autre genre invite à découvrir sans prise de tête les traces laissées par l’aménagement du territoire, des paysages intacts ou en transformation, des sites et des monuments.

Il est bien connu que dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les châteaux et fortifications situés en hauteur offraient la meilleure vue pour détecter à temps l’arrivée de l’ennemi. De tels bâtiments, qui revêtaient une importance à la fois politique et militaire, abondent aujourd’hui encore en Suisse, les uns bien préservés et les autres en ruine. Fondé par les Habsbourg, le château fort de Schenkenberg, ou ce qu’il en reste, a sa place parmi les plus beaux points de vues de Suisse. La section argovienne de Patrimoine suisse l’a acquis en 1918 pour la somme symbolique de 50 francs. Par la suite, l’édifice a été assaini à de nombreuses reprises et remis en état dans les règles de l’art. Facteur décisif pour sa présence dans la nouvelle publication: la vue sur le paysage du Schenkenbergertal, autrefois couvert de vignobles, a pu être préservée de l’urbanisation grâce à des achats de terrain.

Vues en mutation

En raison des interventions humaines fréquentes, souvent sans considération pour les pertes engendrées, de nombreuses vues sont aujourd’hui moins pittoresques que du temps des Habsbourg ou de Pétrarque. Mais nous ne nous voilons pas la face devant les changements. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, sous l’influence de Jean-Jacques Rousseau ou de Johann Wolfgang von Goethe, la nature est observée et documentée pour elle-même – notre nouvelle publication s’inscrit donc dans cette tradition d’observation de la culture (du bâti) et de l’environnement.

L’alpinisme et l’ascension sportive des sommets les plus élevés par des touristes, anglais essentiellement, ont pris leur essor en Suisse dès le milieu du XIXe siècle. Ces hôtes distingués ont aussi introduit le tennis quelques décennies plus tard – des courts furent rapidement aménagés dans les hôtels de cure. Celui de Mürren offre sans conteste la plus belle vue de Suisse et trône depuis 1910 sur le plateau dominant le Lauterbrunnental. Il faisait partie autrefois du «Grand Hotel und Kurhaus», démoli en 1954. Le massif de la Jungfrau paraît à portée de main: selon la météo, les glaciers de l’Eiger, du Silberhorn, du Giesen et d’Aletsch semblent rivaliser d’éclat. Il reste à espérer que ce spectacle grandiose ne disparaîtra pas à vitesse record sous l’effet du réchauffement.

En travaillant sur ce guide, nous avons constaté une fois de plus avec regret que le changement climatique nous touche tous et n’épargne pas non plus les paysages en Suisse: un été très pauvre en précipitations a voilé l’atmosphère, qui avait déjà été troublée auparavant par les sables du Sahara. Ce flou apparaît sur nombre de photos. Mais les laves torrentielles dévastatrices dans le sud du pays ont eu des conséquences autrement dramatiques et ont non seulement bouleversé nos choix et notre planification mais également entraîné des évènements dévastateurs.

Dégager les sommets

Avec l’esprit pionnier des premiers alpinistes, le progrès technique a aussi contribué à l’accessibilité des points de vue les plus élevés. Depuis, nombre de sommets peuvent être atteints par des touristes sans prétention sportive. Dans le même temps, l’architecture hôtelière a aussi connu son âge d’or: l’Hôtel Schreiber, sur le Rigi, raconte de manière exemplaire cette épopée des palaces de la Belle Époque – même s’il a été démoli en 1952. Les matériaux ont été réutilisés pour construire un bâtiment en pierre plus simple, inspiré par les hospices. Avec ses quatre étages et son toit à deux pans, il entrave moins la vue depuis le Rigi Kulm. Cette destruction a même été financée par Patrimoine suisse avec le produit de l’Écu d’or. Oui, vous avez bien lu: en 1951, l’association a contribué à la démolition de deux «blocs» de la Belle Époque qui se dressaient sur le Rigi. Cet évènement a marqué l’apogée et la fin d’une campagne qui durait déjà depuis un demi-siècle: dès sa première année d’existence, Patrimoine suisse a bataillé contre les grands hôtels du XIXe siècle qui, selon l’argumentation de l’époque, défiguraient le paysage. Dans l’après-guerre, on s’en est pris également aux décorations exubérantes, aux créneaux, aux tours et aux coupoles. Conclusion, les activités de Patrimoine suisse et les avis sur la culture du bâti de qualité sont l’expression de leur époque.

S’ouvrir à la nouveauté et questionner le passé

Avec notre nouvelle publication, nous plaidons en faveur d’un changement de perspective et de la faculté à s’ouvrir à la nouveauté en questionnant le passé – exactement comme Pétrarque. Les sites présentés dans ce guide de poche montrent aussi que Patrimoine suisse apporte sa contribution à la mise en valeur, à l’entretien et à la préservation des paysages naturels et culturels en tout genre. Cela inclut également les artefacts, comme les bâtiments et les infrastructures. Les buts d’excursion invitent à découvrir cette diversité qui correspond à la culture du bâti selon la Déclaration de Davos. Parfois, c’est la vue qui importe, parfois le pont, la tour ou l’édifice. Le choix a aussi été guidé par les inventaires fédéraux – Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse (ISOS), Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP) et Inventaire des voies de communication historiques de Suisse (IVS) – car ils correspondent aux revendications de Patrimoine suisse.

Il est bien sûr audacieux d’affirmer que les 50 points de vue sélectionnés ici sont «les plus beaux». Alors, vérifiez par vous-même, partez à la découverte de nouveaux sites et laissez-vous surprendre par la diversité des points de vue présentés côte à côte dans ce guide. Avec cette publication, nous voulons souligner l’importance de la protection et la préservation du patrimoine en Suisse, qu’il s’agisse des paysages ou de la culture du bâti. Ainsi, nous devons nous engager sans relâche afin que les intérêts particuliers ne l’emportent pas sur le bien commun et, par là, sur la mission de Patrimoine suisse.

Jenny Keller, Patrimoine suisse

Revue

Cet article est tiré de la revue Heimatschutz/Patrimoine 4/2024 «Les plus beaux points de vues» (date de parution: 26 novembre 2024).

Publication

Les plus beaux points de vue
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